Richard Hanna
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On va parler de l'Anthropocène, des impacts du numérique, d'obésiciel, d'éco-conception web et de s'impliquer pour un futur souhaitable !
Publication : Tue Jan 01 2019 00:00:00 GMT+0000 (Coordinated Universal Time)
Auteur : Richard Hanna
Je suis Richard et le web est ma passion depuis 1996, époque où on se connectait à Internet avec un modem 33,6 kbit/s. Mon histoire personnelle a fait que j'étais conscient de la force de la nature et de son impact sur la vie des hommes. Mais comme beaucoup, je ne voyais pas ce que je pouvais y faire.
« Je ne veux plus me mentir »
Fin août 2018, la démission de Nicolas Hulot du gouvernement m'a littéralement choqué. « Je ne veux plus me mentir », ce sont ses mots. J'en avais les larmes aux yeux. Pas pour la personne mais plus pour ce qu'il représentait. Donc même lui avouait que c'était peine perdue, que c'était très difficile de faire bouger les choses de l'intérieur ?
Au lieu de m'abattre, au contraire, cela m'a donné envie d'agir. Prendre mes responsabilités à mon niveau. J'ai commencé par me documenter sur ce qui nous attent sur la toile puis à lire des livres comme "Comment tout peut s'effondrer" de Pablo Servigne et Raphaël Stevens et "Petit manuel de résistance contemporaine" de Cyril Dion.
Je découvre aussi la notion d'Anthropocène dans l'article "S'éveiller à l'effondrement" de Marie-Cécile Godwin Paccard. Cette période géologique aurait commencée il y a seulement 200 ans, depuis le début de la révolution industrielle en fait. Elle est en train de remplacer l'holocène, ère vieille de 10 000 ans. Anthropocène signifie "ère de l'Homme". En effet, on considère aujourd'hui que les activités humaines ont un impact sur l'écosystème terrestre. Grâce aux progrès notamment de la science, de l’agriculture et de la médecine et grâce à de l’énergie fossile pas cher comme le pétrole et le charbon, depuis le début de l'Anthropocène, la population humaine a connu une croissance exponentielle, passant d’1 à 7 milliards d'individus.
Vous connaissez cet adage. Sauf que le progrès est confronté aujourd'hui à un sérieux problème : un déclin de la disponibilité des ressources énergétiques et des matières premières.
D'abord, Il y a le pétrole, qui à l'échelle mondial est notre principale source d’énergie. Aujourd’hui on considère que sa consommation dépasse les quantités découvertes. Selon l'AIE, l'Agence Internationale de l'Énergie, l'insuffisance des investissements dans la production pétrolière va conduire à un déséquilibre du marché mondial à moyen terme et une pénurie d'or noir pourrait se profiler d'ici 2025. En France, tout va bien, notre principale source d'électricité est le nucléaire. Je ne veux pas rentrer dans un débat du pour ou contre le nucléaire, aujourd'hui on n'a pas le choix, il faut faire avec faute de mieux.
Ensuite, il y a le déclin de l'extraction d'une grande variété de matières premières. Ces matières premières sont extraites dans des pays peu regardants sur l'impact sur l'environnement. Des terres et des forêts sont saccagés au Brésil, au Congo ou en Chine afin d'extraire ces matières, dont des terres rares, pour soutenir les besoins grandissants du marché mondial. Ces matières premières deviennent de plus en plus chères. Pas étonnant qu'assez souvent dans les actualités on entend parler de vol de stock de cuivre dans les entreprises ou directement sur les voies ferrées.
Adolescent, j'adorais les films catastrophes américains. Naïvement, je pensais que notre monde pourrait prendre fin dans une collision avec un astéroïde comme dans Armageddon, mais sans Bruce Willis pour nous sauver. Ou avec une invasion de méchants extraterrestres qui viendraient nous péter la gueule, comme dans Independance Day. Ou bien, scénario à la The Walking Dead, nous disparaissions dans une apocalypse zombie. Malheureusement, notre futur semblerait être plus proche du film Wall-E c'est à dire une planète poubelle, sans vie, mais à la différence près, qu'il n'y aurait ni robot nettoyeur (Wall-E) ni vaisseau spacial (l'Axiom) pour nous sauver.
Dès 1972, des scientifiques du MIT dans un rapport, connu sous le nom de « Rapport Meadows » ou « Rapport du Club de Rome » qu'ils intitulent "Les limites à la croissance dans un monde fini", alertent sur les conséquences sur l'environnement d'une croissance avec des ressources finies.
Les citoyens se mobilisent pour agir pour le climat. En septembre 2018, un manifeste étudiant pour un réveil écologique réunit plus de 30 000 signataires. L'affaire du siècle, cette pétition contre l’inaction de l’état, bat un record en réunissant en quelques semaines plus de 2 millions de signatures. Le 15 mars 2019, les étudiants sont dans la rue en faveur de l’action climatique. Le lendemain, la marche du siècle mobilise 350 000 personnes dans plusieurs villes françaises.
Quand vous avez des dirigeants de grande puissance mondiale qui s’assument climato-sceptiques ou peu enclins à changer les choses, ça n’arrange rien.
“Mon instinct naturel pour la science me dit que la science du climat est fausse.” selon Trump. Plus près de chez nous, notre champion de la Terre, Président Macron n’est pas en reste. Il se pose encore la question d’accorder le droit à une entreprise minière russe de saccager la forêt amazonienne en Guyane pour extraire de l’or, dans le si bien nommé projet "Montagne d'or". C’était donc ça la poudre de perlimpinpin ? "Make our planet great again" disait-il ?
“Chaque génération se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. ” Albert Camus
Manger moins de viande rouge, éviter l'avion, placer son argent dans l'épargne solidaire (et éviter donc les banques qui financent les énergies fossiles) sont les actions les plus impactantes. Cependant, nous, gens de la tech, nous avons un super pouvoir ! Nous concevons des applications qui vont être utilisées par des centaines, des milliers voire des millions d’utilisateurs. C’est là qu’on peut agir.
La part de la consommation d’énergie liée à l’activité du numérique ne cesse de s’accroitre. Aujourd'hui, elle dépasse même celle de l’activité aérienne. Si l’économie du numérique était un pays, il serait le 3ème des plus gros consommateurs en énergies après la Chine et les États-Unis. Depuis 2013, la part est passée de 2,5 % à 3,7 % du total des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Par ailleurs, le stock en matières premières qui permettent de produire des téléphones et des ordinateurs est en déclin. Il faudra également prendre en compte que l'extraction coûte de plus en plus cher financièrement et environnementalement. Par exemple, les difficultés d’approvisionnement de l’indium qui est le composant principal de nos écrans tactiles arriveront sans doute dès les années 2030.
Le taux de recyclage des matières constituant nos appareils n’est pas dingue. Et pour cause, les composants sont complexes. Extraire et trier les matières consommerait trop d’énergie et le bilan serait alors négatif.
En septembre dernier, est paru un article qui a fait le buzz : Software disenchantment (traduit en français : le désenchantement du logiciel). Ce dernier pointe la complexité et la lourdeur de nos applications et sites web. Alors que Windows 95 ne pesait que 30 Mo et permettait de faire tourner un ordinateur, aujourd'hui, avec le même poids, on a à peine un site web.
Par exemple, la page d'accueil d'Airbnb fait 170 requêtes et charge une image de 3 Mo , tout ça pour un formulaire de 4 champs. Comment 900 développeurs de Airbnb, très bien payés ont pu pondre ça ?
Un autre très bon article lui emboite le pas : Le monde du logiciel est en train de se détruire... Manifeste pour un développement plus durable . Si on doit trouver un parallèle entre nos sites ou applications et l'industrie des énergies fossiles, nous concevons aujourd'hui des usines à gaz.
La dématérialisation de l'économie n'a donc pas tenue ses promesses ? Car on consomme toujours plus de ressources et toujours plus d'énergies.
Un think tank français, le Shift Project a sorti en octobre dernier rapport qui prône la sobriété numérique. Il s’agit de réduire l’empreinte énergétique et environnementale du numérique. Et d’adopter la sobriété numérique comme principe d’action.
Ce terme est pas du tout nouveau. Il est utilisé depuis des années notamment par le collectif GreenIT qui propose ses 115 bonnes pratiques d'éco-conception web. Il s'agit par exemple d'enlever tout le gras numérique : vidéos, images lourdes, trackers de publicités, nombre de requêtes serveur, interfaces surchargées...
Pour optimiser les performances de votre site ou application, il faut surveiller :
le nombre de requêtes,
le poids des échanges,
et pourquoi pas aussi l'énergie consommée ?
De nombreux outils existent pour cela, entre autres : web.dev, tools.pingdom.com,webhint.io, ecoindex.fr, ecometer.org, Greenspector, Profiler Symfony, Blackfire, …
On peut également agir en réduisant les fonctionnalités et en répondant exactement au besoin utilisateur. Pendant la phase de la conception, on adopte un développement « sans gaspillage » ou « au plus juste » (méthode Lean) et on veille à la fiabilité et la maintenabilité du code (Software Craftmanship, Extreme Programming...).
Pour augmenter la qualité et la pérennité du code, il vaut mieux éviter l’over-engineering : une complexité qui arrive trop tôt, des couches d’abstractions installées par anticipation et des dépendances lourdes substituables par des éléments plus simples. Au quotidien avec mes collègues, ce qu'on aime faire, c'est découpler, c'est à dire donner de l'indépendance au code métier par rapport aux frameworks ou au langage lui-même, en adoptant les principes du Domain Driven Design et/ou de l'architecture hexagonale. Cela permet de faciliter une montée de version du framework ou du langage avec pas ou peu de retouche au code métier et donc, en théorie, faire durer plus longtemps une application.
De plus, en utilisant les dernières technologies ou des briques non performantes, on risque de favoriser l’obsolescence des terminaux de nos utilisateurs. Ces derniers auront la sensation que leur smartphone ou leur ordinateur est trop lent et qu'il est temps d'en changer, alors qu'ils sont tout à fait fonctionnels. Il est recommandé de garder du vieux matériel pour tester les sites et applications afin de veiller à respecter cette contrainte. Par exemple, nous avons avons travaillé avec mes collègues sur une progressive web app permettant à des étudiants ghanéens d'accéder à des contenus universitaires. L'appareil qui nous a servi pour les tests était un smartphone ancien modèle mais très utilisé au Ghana. En réduisant également le débit, nous avons pu ainsi utiliser l'application dans les mêmes conditions qu'un ghanéen.
En tant que développeur, essayons d'allonger la vie de nos machines et de nos smartphones. Et ne cédons pas aux sirènes du marketing. On considère que 90% de la pollution engendrée par un appareil électronique est réalisée dès la phase de conception. Un ordinateur ou un smartphone pas acheté ou dont l'achat est reporté, c'est plusieurs kilos de matières pas extraites et des milliers de litres d'eau évités.
L'article "Quels critères pour identifier un hébergeur « vert » ?" indique qu'il faut en choisissant un hébergeur éco-responsable, veiller à ces critères :
l'alimentation électrique qui doit tendre vers les énergies renouvelables,
l'indicateur d'efficacité énergétique (PUE)
la gestion des DEEE, les déchets d'équipements électriques et électroniques.
Je n'ai pas encore d'expérience à ce sujet et pas encore identifié d'acteur avec qui travailler, mais ça fera peut-être l'objet d'un nouvel article.
Le site Low Tech Magazine a appliqué la sobriété numérique à lui-même en proposant un site web low tech : solar.lowtechmagazine.com. La particularité de ce site est qu'il est hébergé sur un serveur à Barcelone qui ne fonctionne qu’à l’énergie solaire. Une barre de progression sur le site indique l’énergie restante avant extinction. Le site peut ne plus être disponible notamment la nuit. Mais est-ce vraiment grave ?
Gauthier Roussilhe, un designer français a suivi l'exemple de Low Tech Magazine, a repensé également son propre site web et a publié le résultat de ses travaux dans l'article Guide de conversion numérique au low tech.
Malgré les défis qui nous attendent, adoptons la positive attitude. On est des développeuses et des développeurs et on adore résoudre des problèmes. Les problèmes qui nous sont posés aujourd'hui sont cruciaux pour l'avenir de l'espèce humaine. Il ne s'agit pas de s'enfermer dans le "solutionnisme technologique" mais aller vers plus de sobriété à tous les niveaux.
Déjà, de manière symbolique, en signant le Manifeste écologique des professionnel·le·s de l’informatique, nous choisissons de mettre toute notre énergie au service d’entreprises qui répondent à nos valeurs, pas au profit de celles qui détruisent notre avenir !
Des pistes à explorer :
l'économie circulaire : comment le numérique peut participer à réduire les déchets et l'obsolescence ?
concevoir des produits favorisant la résilience face aux chocs,
tech for good : participer au développement de technologies au service de l’intérêt général,
envisager une décroissance ou un ralentissement ?
travailler moins pour donner du temps, bénévolement, à des associations, via des initiatives comme Webassoc.
Si ces sujets vous intéressent, je vous invite à poursuivre en écoutant notre podcast Techologie, de lire le rapport pour une sobriété numérique et de consulter les articles de greenit.fr ou les notres !
N’hésitez pas à découvrir les autres articles